Le Web est au sommet d'un vaste édifice de standards technologiques qui l'ont engendré, le maintiennent et le complètent. Ce système de protocoles en réseau qui a fondé Internet a dû atteindre un niveau de stabilité, de maturité et de cohérence, pour que le Web de l'hypertexte et des documents interconnectés puisse s'y développer solidement. C'est une structure très basique, ouverte, et néanmoins puissante qui a posé les fondations de ce Web en pleine expansion.
La quasi-totalité de l'infrastructure sous-jacente d'Internet est ouverte et standardisée. C'est cette ouverture en particulier qui a permis un niveau sans précédent d'innovation, de génération de connaissances et d'expression créative sur le Web et même en dehors. Ceux qui militent pour garder le Web ouvert le font pour continuer à le voir progresser. L'expérience montre que standardiser la colonne vertébrale du réseau engendre un déferlement d'innovations, avec pour conséquence des progrès et des améliorations que nous ne pouvons anticiper.
Aujourd'hui, pendant la majeure partie du temps que nous passons en ligne, nous n'imaginons même pas les lignes de code et les standards qui sous-tendent nos activités quotidiennes. Mais sans ces couches solides et interopérables sous-jacentes, le Web tel que nous le connaissons ne pourrait pas exister.
Imaginez un instant que vous deviez demander la permission à chaque fois que vous recherchez un restaurant dans votre ville. Et si toutes les informations étaient livrées cadenassées, et que vous aviez à fouiller pour trouver les clés ? Ou encore si vous deviez sonner chez votre voisin pour pouvoir consulter la programmation de votre cinéma local ? Payer une licence pour regarder les horaires de bus en ligne ? Heureusement, la plupart de nos actes ne ressemblent à rien de tout cela, pour la simple raison que la pile technique les supportant, la pile du Web ouvert, a déjà contourné les obstacles et standardisé ces échanges de données.
Dans cet ouvrage, nous explorerons de l'intérieur les fondations techniques qui rendent possibles ces activités sur le Web, et nous démontrerons en quoi il est important qu'elles se développent et qu'elles soient protégées. Mais d'abord, étudions pourquoi nous devrions nous soucier du Web ? Qu'a-t-il permis, et que pourrait-il accomplir s'il était plus ouvert ?
La section suivante fournit des exemples issus de disciplines et de projets ayant eu un rôle clé. De plus, elle offre un bref aperçu d'un futur brillant d'innovations et de collaboration — si nos pratiques techniques et normatives sont les bonnes.
Wikipédia, la coqueluche des projets massivement collaboratifs, a eu 10 ans en 2011. En hébergeant plus de 19 millions d'articles dans 270 langues1, Wikipédia est l'exemple parfait des bénéfices de l'ouverture. Collaboratif, techniquement interopérable, normalisé et modifiable à l'infini, il est devenu l'une des plus célèbres bases de connaissances de l'histoire de l'humanité. Beaucoup d'encre a coulé sur les mérites du projet, son évolution, les critiques dont il est l'objet, mais dans la perspective de ce livre, nous souhaitions souligner l'importance du Web pour libérer le potentiel de Wikipédia et d'autres projets collaboratifs en ligne. Wikipédia, tout comme de nombreux autres portails axés sur le développement de connaissances, repose sur le Web pour faire en sorte que les gens continuent de participer et d'accéder à ce précieux contenu.
Si vous voyez un nid-de-poule dans la rue, vous pouvez rapidement le signaler à la ville et le mettre ainsi en attente de réparation. Le projet Fix My Street2 de la fondation anglaise MySociety a produit une interface web pour améliorer son quartier par de simples actions, comme signaler les nids-de-poule. Le logiciel a été publié sous une licence qui autorise les autres à le modifier, ce qui permet à d'autres villes d'adapter cette technologie à leurs besoins. Ces outils sans verrou aident les citoyens à se mobiliser de manière flexible et gratuite.
Une plateforme coréenne de journalisme citoyen, OhmyNews, fut l'une des premières agences de reportages en ligne dans le monde à s'atteler au Web pour entretenir le débat politique et agir sur la politique nationale. Avec plus de 63 mille reporters citoyens, 2 millions de visiteurs uniques par jour, et le classement le plus haut dans les sites d'informations indépendants en Corée3, OhmyNews est un exemple impressionnant de la façon dont le Web peut se mettre à l'échelle du journalisme communautaire et couvrir la vie politique. Chose intéressante, les dons et les micro-paiements alimentent le système, en court-circuitant les habituels revenus publicitaires pour le contenu en ligne.
Les leaders de communautés, les manifestants, les militants et tous ceux qui s'impliquent dans la vie citoyenne peuvent utiliser le Web pour faire avancer la démocratie et leur propre cause. Si le Web est ouvert, de nouvelles plateformes similaires vont prospérer. Et le contenu sans publicité, en particulier dans la sphère civique, sera toujours possible.
La bataille pour le réseau est fondamentalement une affaire de démocratie, de transparence, et d'expression. Le réseau fournit un espace nécessaire pour les lanceurs d'alerte, les journalistes citoyens et professionnels, les dissidents, ou la première personne venue qui veut dénoncer ou critiquer son gouvernement, son patron, ou d'autres autorités. Si le petit frère doit garder un œil sur son Big Brother, nous avons besoin de technologies sécurisées et fiables qui garantissent à l'utilisateur une protection et un anonymat. Le réseau le permet, mais des défis terribles à relever nous attendent.
Le réseau « Technologies pour des documents transparents » réalise des études de cas pour savoir quelle stratégie adopter dans la promotion de la transparence et de la responsabilité dans le monde4. Au moment où nous écrivons ceci (janvier 2011), 60 types d'usage sont répertoriés de l'Argentine au Zimbabwe, ils soulignent le rôle joué par le Web et les technologies qui en dépendent pour surveiller les élections, éduquer les citoyens sur les droits du consommateur, encadrer le processus législatif, rendre publiques les dépenses budgétaires et bien d'autres choses encore. Un grand nombre de ces utilisations et beaucoup d'autres sont rendues possibles grâce à l'accès au Web et à d'autres composantes majeures des technologies libres et ouvertes.
Aujourd'hui une discussion sur la transparence du Web ne saurait être complète si l'on oubliait l'initiative Wikileaks sur laquelle se focalise toute l'attention. Alors que la plupart des pratiques des institutions sont en réalité opaques, Wikileaks s'appuie sur le Web pour diffuser des informations et communiquer avec ses collaborateurs et le grand public.
Les débats autour de Wikileaks révèlent les défis lancés au Web fermé. Les réactions à la publication de documents sensibles, et particulièrement ceux dans lesquels on voit le bras long des interventions étatiques faisant pression sur les entreprises privées pour qu'elles refusent leurs services à Wikileaks, montrent les nombreuses faiblesses des services hébergés par des entreprises commerciales et la centralisation des plateformes clés du Web. L'affaire souligne également l'influence décisive de la loi et du pouvoir politique, associés aux compétences techniques, pour accéder à l'information et la contrôler.
Une conséquence intéressante sur le plan législatif est apparue en Islande, à la suite des publications de Wikileaks. Il ouvre une piste sur la possible évolution du rôle de l'état pour protéger, et non menacer, la liberté d'expression. En juin 2010, le Parlement islandais a voté à l'unanimité un projet de loi gouvernemental destiné à donner un cadre renforçant la liberté d'expression5 . En l'occurrence, il s'agit de mener l'Islande vers « l'inverse d'un paradis fiscal ; en offrant aux journalistes et aux éditeurs les mesures les plus puissantes du monde pour protéger la liberté d'expression et le journalisme d'investigation ».
Le Web peut aussi être le moteur de la créativité. Quand l'infrastructure technique sous-jacente est interopérable et fonctionnelle, on peut s'en servir pour faire énormément de choses. Extraire du contenu de sources croisées, chaque niveau étant compatible avec des standards ouverts et sous licences libres, offre des possibilités encore jamais vues de remixer et de mettre dans un nouveau contexte des productions artistiques et autres créations.
Les musiciens d'Arcade Fire ont bouleversé le concept de cinéma en ligne en publiant The Wilderness Downtown6 , un film interactif qui utilise le HTML5, un langage clé du Web ouvert. En jouant sur les flux de données en direct et les multiples trames vidéo, The Wilderness Downtown ajoute une dimension à l'image animée qui aurait été impossible avec les technologies classiques de diffusion.
Avec les niveaux de données interopérables, d'autres expérimentations avancées sont possibles, telles que popcorn.js7 Dans une démo de vidéo sémantique, popcorn.js extrait des flux d'information d'une multiplicité de sources, en permettant réellement d'ajouter à la vidéo en temps réel des données telles que la géolocalisation, des articles de Wikipédia, les mises à jour des statuts sur les réseaux sociaux et les sous-titres. Ces technologies mettent en valeur la puissance du HTML5 et son énorme potentiel. Un Web ouvert prolongerait encore ces modes d'expression et ouvrirait un avenir brillant.
Dans le monde universitaire8 le mouvement de publication Open Access (OA) est à l'avant-garde du combat pour faire tomber une barrière majeure dans la diffusion collaborative des publications scientifiques. Le prix élevé des articles de magazines limite effectivement l'accès aux chercheurs dépendant d'institutions reconnues. Access to Knowledge (A2K) met l'accent sur les aspects de justice sociale et d'égalité dans la mise en ligne ouverte et accessible des publications scientifiques.
Le mouvement Open Access a récemment obtenu des succès tangibles et prometteurs. L'index des publications en accès libre en répertorie plus de 6000 au moment où nous écrivons9. Les principaux magazines de la Public Library of Science sont dans le tiers supérieur des publications dans leur domaine. Les éditeurs traditionnels investissent dans Open Access, comme en témoigne l'acquisition par Springer du grand éditeur d'OA BioMed central, ou bien la création par le magazine Nature des Scientific Reports.
À plus long terme, OA peut entraîner des améliorations dans les méthodes de collaboration scientifique, par exemple la révision-validation par les pairs, et permet de nouvelles formes de collaboration transversale. Un exemple récent en est Plos One, une publication électronique complètement repensée sans limitation du nombre d'articles publiés et avec addition des évaluations et commentaires des utilisateurs.
Un autre exemple serait l'indexation et l'analyse automatiques des articles de journal, qui permettent éventuellement de traiter dans une base de données toute publication scientifique, qui serait donc ainsi accessible d'une requête, au moins en ce qui concerne la littérature publiée avec OA. Ces applications plus sophistiquées ne nécessitent pas seulement un accès, mais la permission de redistribuer et manipuler. Ainsi peut naître une publication rapide sous licence Creative Commons qui permet toute utilisation avec attribution - une pratique suivie à la fois par PLos et BioMed Central.
Le Web est également devenu la plateforme idéale pour la distribution des ressources pédagogiques et éducatives, pour l'usage en classe, à travers les dépôts et les outils divers procurés par Open Educational Resource (OER). Sur deux autres registres, les projets tels que Peer-to-Peer University (P2PU) et l'OpenCourseWare du MIT ont réussi à donner accès à des ressources éducatives de niveau universitaire à tout le monde via le Web.
Imaginez que vous ayez la capacité d'adapter du matériel pédagogique, des ouvrages de référence, des publications médicales et davantage encore dans toutes les langues du monde. Imaginez des milliers de communautés actives prêtes à localiser des outils importants. Imaginez que chacun puisse accéder aux sites web de n'importe quel point du monde — dans sa propre langue. Ces objectifs, autrefois considérés comme de purs idéaux, sont maintenant faciles à atteindre avec les technologies d'aujourd'hui. La puissance de l'ouverture c'est aussi de supprimer les barrières techniques et légales pour localiser l'information et les outils.
Depuis la traduction automatique qui s'appuie sur des corpus comme Wikipédia jusqu'au développement de polices qui affichent des caractères dans des langues considérées comme « mineures » par les grandes entreprises, la structure du Web ouvert génère d'importantes possibilités pour lire les informations dans n'importe quelle langue, en s'appuyant sur les standards ouverts.
Il existe de très nombreux exemples de projets multilingues, mais pour souligner les possibilités de la localisation qui sont en particulier offertes par le Web ouvert, jetez un coup d'œil à Universal Subtitles. Ce service propose un logiciel conforme aux standards qui facilite pour tout le monde l'ajout de sous-titres, de légendes, de traduction pour pratiquement toutes les vidéos du Web. Son interface est d'une prise en mains aisée, et comme chaque jour davantage de vidéos sont mises en ligne, et que la bande passante s'adapte à ce succès planétaire, de plus en plus de gens pourront communiquer avec des vidéos comme jamais auparavant.
Pour stimuler l'appropriation de ces vidéos et entamer vraiment un dialogue à l'échelle du globe, des outils tels que Universal Subtitles sont de plus en plus indispensables. Plus encore, ce projet en particulier utilise une politique de vie privée selon laquelle aucune vidéo n'est hébergée sur leur site ; à l'inverse, quand vous lancez une vidéo hébergée ailleurs, elle appelle le texte via Universal Subtitles. Plus tard, si vous souhaitez déplacer ou supprimer votre vidéo, vous ne devez pas l'effacer d'un million de services — seulement celui sur lequel vous l'avez envoyé au départ. Les plateformes telles que Universal Subtitles,comme tant d'autres, nous montrent la voie pour un Web multilingue. En permettant aux utilisateurs de modifier des contenus et de localiser les outils, davantage de gens peuvent participer, ce qui accroîtra la diversité et la richesse de la conversation planétaire.
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