Nous avons établi un champ de bataille à l'échelle individuelle, mais il importe de comprendre que d'autres batailles sont en cours, sans nous être aussi apparentes. Nombre d'entre elles ont déjà eu lieu et ont contribué à dessiner le Web ouvert ; cependant, la technologie étant ce qu'elle est, de telles batailles ne sont jamais terminées. La lutte continue : il faut constamment développer de nouveaux standards adaptés aux nouvelles technologies, de nouvelles technologies ouvertes compétitives avec les technologies fermées, et dans certains cas de nouvelles régulations pour garantir les libertés numériques et le Web ouvert.
Beaucoup de ces batailles se jouent dans une sphère qui pourrait sembler hors de notre portée individuelle ; il faut pourtant ne pas les perdre de vue, et garder à l'esprit que la lutte ne se limite pas à votre bureau, votre navigateur ou vos réseaux sociaux.
L'une des arènes les moins visibles est constituée par les couches basses du navigateur, dans un domaine technique que la plupart d'entre nous ne comprend pas ou ne soupçonne pas l'existence. Ces couches sont importantes, car c'est d'elles que dépend non seulement l'existence du Web ouvert, mais sa survie jour après jour.
Tout matériel informatique peut être séparé, à un certain niveau, en couches matérielles et logicielles. De nombreuses strates matérielles et logicielles sont prises en sandwich entre les composants physiques que sont le clavier et l'écran qui servent de médiateurs à notre usage informatique quotidien. De nombreuses autres couches séparent encore notre propre ordinateur des millions d'autres appareils qui font l'Internet que nous connaissons.
L'intégralité d'Internet peut être conçue comme composée de quatre couches techniques de base. Chacune de ces couches manipule un niveau différent de communication entre les périphériques connectés, c'est ce que l'on nomme un protocole. Les quatre couches prises ensemble composent la Suite des protocoles Internet (Internet Protocol Suite).
Le protocole du niveau le plus bas est la couche de liaison. Elle décrit les périphériques réels et physiques du matériel tels qu'une connexion Ethernet ou WiFi qui assure en fin de compte le transfert des données.
Par-dessus cette couche de liaison se trouvent la couche Internet et la couche de transport. La couche Internet décrit le protocole du mouvement des données d'un périphérique à un autre, alors que la couche de transport se charge d'assurer que toute donnée envoyée par le réseau arrive intacte au destinataire attendu. Les protocoles qui s'occupent de ces couches sont habituellement désignés ensemble sous le nom de Transmission Control Protocol et d'Internet Protocol, ou TCP/IP.
La dernière couche est celle qui nous est la plus familière : la couche d'applications, à laquelle on doit le contenu qui est communiqué par le réseau. Parmi les protocoles les plus utilisés dans la couche d'application, citons HTTP, FTP et les différents protocoles qui gèrent le courrier électronique.
Chacune de ces couches techniques a son propre ensemble de standards ouverts — des conventions et des règles documentées — qui leur permettent de communiquer horizontalement et verticalement.
Comme nous le savons rétrospectivement, chacun des ces standards ouverts a donné lieu à une explosion d'innovation. Ethernet a permis à des entreprises telles que Cisco, 3Com et d'autres, d'exister et de rivaliser dans un domaine qui était auparavant dominé par d'énormes acteurs construisant des systèmes de réseaux hyper-extensibles conçus par les entreprises de téléphonie avec des spécifications forgées au fil des ans par les agences inter-gouvernementales de standards.
De même, TCP/IP a permis à des entreprises indépendantes, les premiers FAI, de proposer des offres d'accès concurrentes aux entreprises et aux particuliers, brisant de ce fait, souvent pour la première fois, des monopoles attribués par les gouvernements aux entreprises de téléphonie. Introduire cette concurrence a réduit les coûts de transfert des informations, et a également rendu possible tout un écosystème de logiciels, souvent libres et open-source.
L'écrivain David Weinberger devait ensuite décrire ce système comme de « petites pièces liées sans contraintes ». Ce nouveau réseau naissant de petits objets développés par de petites équipes utilisant des standards et protocoles ouverts, était un modèle totalement nouveau.
C'est par dessus ces différentes couches que nous vivons notre existence virtuelle. Le Web se trouve en haut de ces 4 couches — c'est ce que nous appelons « l'édifice du Web ouvert ». C'est en fait là que que nous pouvons nous faire des amis, partager, innover, communiquer, apprendre et collaborer au travers de l'énorme toile des services web et réseaux sociaux auxquels nous avons accès.
L'édifice du Web ouvert n'est pas incroyablement important seulement pour le Web ouvert, mais il a également permis l'existence de services « fermés », et beaucoup de ceux que nous connaissons actuellement n'auraient jamais pu exister sans cet édifice. Si l'on essayait d'imaginer ce qu'aurait donné une tentative de créer Google sans le Web ouvert, ce serait tout simplement impossible. Google n'aurait aucun client ni contenu s'il n'y avait pas le Web ouvert.
Le succès de l'édifice du Web ouvert est dû à des technologies et standards ouverts guidés par des organisations à but non lucratif, gardiennes d'un processus qui part de la base, consultant et créant un consensus parmi une grande variété de parties intéressées.
Si l'on avait 100 internets parallèles ou 100 webs mondiaux gouvernés par des « standards » incompatibles, les effets de réseau dont nous profitons sur le Web interopérable seraient étouffés. Et pourtant, c'est vers cela que nous semblons nous diriger. Par dessus ces quatre couches, l'on voit cet édifice se fermer de plus en plus. Ceci est le Web fermé — qui tue tout l'édifice depuis sa couche la plus haute en fermant la possibilité de communiquer verticalement et horizontalement. Il tue l'innovation et réprime la collaboration.
C'est pourquoi la lutte pour le Web ouvert est aussi une lutte permanente pour des couches que vous ne devriez pas « voir » mais qui sont néanmoins très importantes. Les chapitres suivants couvrent certains de ces sujets importants — Interface de Programmation Applicative (API), informatique dans les nuages et filtrage de contenu régulé.
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